Ces dernières semaines, j'ai commencé à écrire cinq, six, sept romans qui se sont tous effilochés bien avant terme, puisque je les ai tous abandonnés au bout de quelques pages. Celui dont je vais publier ici les premières lignes, c'est aussi celui que j'ai le plus "poussé" : j'ai rédigé 25 pages. Et j'y croyais ! - jusqu'à m'apercevoir qu'il n'était pas réaliste d'imaginer qu'on épargne la vie du protagoniste, piégé dans une barre désaffectée de la banlieue lyonnaise par un groupe de musulmans extrémistes. Ce n'est là qu'une des nombreuses invraisemblances de ce récit que j'ai dû stopper net avant de m'embarquer dans une histoire, au sens propre du terme, insensée.
Depuis que j'ai arrêté l'écriture de ce livre, je bloque et me trouve dans un état de manque indescriptible. Et si je n'espérais pas un revirement favorable à mon projet littéraire je renoncerais dans la foulée (j'y ai pensé très fort) à donner suite au blog.
Honnêtement, je ne sais pas si je vais pouvoir écrire un livre ayant trait aux événements qui déchirent la Syrie depuis maintenant trois longues années. J'ai l'impression d'avoir fait une telle indigestion de documents, que j'atteins le seuil de saturation : je ne sais plus du tout comment je vais bien pouvoir attaquer un nouveau scénario.
Qu'à cela ne tienne : si je n'écris pas sur la guerre en Syrie, je trouverai autre chose. Depuis des années, la même histoire me visite et me revisite chaque soir avant que je m'endorme. Cette histoire-là aussi, je l'ai prise dans tous les sens, j'en ai rédigé plusieurs versions dont une fut proposée, il y a un peu plus d'un an, aux Editions de la Madolière sous le titre : Le Donjon Quatuor. Cette dernière mouture, j'en conviens aujourd'hui, n'est pas publiable en l'état. Trop trash.
En attendant de me "décoincer" je vous livre donc le tout début de mon dernier essai manqué, lequel devait s'intituler : Ils diront : « ils étaient un et le deuxième était leur chien »
Premier contact avec la réalité : mal aux dents, mal au crâne à se le taper contre les murs. Infos Syrie sur la chaîne arabe et les autres qui braillent plus fort que la télé. Moiteur caniculaire, elle détrempe son tee-shirt et son pantalon de toile. Il est couché sur un matelas grouillant de vermine. Pieds nus, les poignets ficelés dans le dos. Ténèbres complètes : il fait encore nuit. Fin août 2013. Un terrain vague. Un immeuble. Il ne sait plus très bien, tout s’est brouillé dans son esprit.
Tout entier farci d’hématomes et d’ecchymoses. Côtes et dents cassées. Le nez cassé. L’arcade sourcilière. Son œil gauche le lance. Douleur, chaleur, il a du mal à respirer. Ses lèvres sont archi-sèches, c’est du parchemin qu’il lèche.
Quel jour. Quelle heure. Où ça. Pourquoi. Y’a tout qui se mélange dans sa tête. Le terrain vague. L’immeuble. Un coup d’œil vers le rai de lumière qui passe par la porte entrouverte. Derrière, un couloir peut-être. Les types et la télé sont de l’autre côté du mur, sur sa gauche. Ca sent la pisse et la transpiration. Dehors on n’entend rien. Pas de circulation. Dedans, devant l’écran, cinq, six ou sept types, tous Arabes, Algériens, Tunisiens, à se taper les cuisses et manifester contre ce qui se passe en Syrie. L’opération militaire punitive des pays occidentaux, engagée contre les structures militaires gouvernementales. Le nom de Bachar el-Assad revient souvent comme un leit-motiv. Bachar el-Assad.
Comment il a fait pour se retrouver direct au cœur du conflit.
Fatih. La cité. La mobylette orange. Autour d’une heure du mat. Trois-quarts d’heure de route à quarante à l’heure au milieu des barres et des tours. A terme, le terrain vague. La Peugeot 104 attaque vaillamment la piste poussiéreuse au milieu des chardons et des orties. Pas question de suivre à découvert. Il faut planter là sa Clio. Très loin, au bout de la friche, on aperçoit la masse sombre d’un immeuble avec, semble-t-il, une lueur à mi-hauteur, peut-être un reflet. Il est descendu de voiture. Il poursuit à pied. La barre se rapproche cran par cran. Fatih par contre a disparu de la circulation. Mais il n’a plus besoin de lui. Ce qu’il vise, c’est la lumière au carreau. Qui brusquement s’éteint.
Son Sig-Sauer SP 2022 entre les mains, il aborde le hall d’entrée. Boîtes aux lettres éventrées. L’ascenseur, en rade depuis des plombes. Il commence à monter. Premier étage. L’oreille et l’œil aux aguets. Son flingue en avant. Pas âme qui vive. A part, sous la semelle, un craquement étouffé de terre et de bris de verre, aucun bruit. Deuxième. Troisième. Paliers déserts. Portes forcées. Les appartements sont vides. Il fait noir. Ca empeste l’urine.
Quatrième. Quarante degrés. Les mains toutes mouillées. Le flingue lui glisserait presque des doigts. Cinquième. Un bruit sec l’arrête net. Il tend l’oreille, cœur battant. Plus rien. Peut-être un rat. C’est possible un rat. Ou bien c’est Fatih qui se planque, là, quelque part. Il progresse, de côté, dos au mur, en tenant son flingue à deux mains. On n’y voit rien. On n’entend plus rien non plus. De bout de sa chaussure il pousse une porte.
Ils lui tombent dessus à bras raccourcis. Bousculade, gueulantes, pas le temps de tirer, son arme lui gicle des mains. L’obscurité se remplit d’un bouillon rouge. Il tombe. Il sombre. Ils cognent encore à coups redoublés mais son corps à lui ne répond plus. Peut-être qu’une lame de couteau vient l’entailler de l’oreille droite à l’oreille gauche, parce que sa gorge le brûle, il a saigné, précisément sous le menton, mais ils ne l’ont pas tué, ils ne l’ont pas tué, et il ne sait pas pourquoi, la peur, la trouille bleue, lui tord les tripes.
Thaddée (c) - Ils diront : « ils étaient un et le deuxième était leur chien » - Mars 2014