L'information est tombée dans la journée de jeudi : à la suite des attentats de Paris, la Fête des Lumières est annulée. La première réaction de certains fut de soupirer qu'ils avaient gagné, eux, les terroristes, en nous privant d'une importante fête religieuse. On ne peut s'empêcher aussi de penser que c'est un coup dur pour l’économie de Lyon qui recevait à cette occasion, depuis plusieurs années, la visite de milliers de touristes venus des quatre coins de monde. Parce qu'il ne faut pas se leurrer. Les Illuminations de ma jeunesse, le 8 décembre et ses lumignons, la montée aux flambeaux sur le chemin qui grimpe à la Basilique de Fourvière et sa Vierge dorée, se trouvaient loin derrière nous depuis qu'est mise en place, durant quatre jours successifs, la tapageuse Fête des Lumières et ses sempiternels spectacles pyrotechniques. Revenons un instant, si vous le voulez bien, sur les circonstances de la reconversion d'une fête religieuse en fête profane.
La transformation du 8 décembre comme dévotion mariale, commença dans les années 1990 : «la Fête des Lumières, voulue par la municipalité, d’abord en 1989 avec le maire Michel Noir (1989-1995) et la création du Plan Lumière, visant à souligner par des éclairages ajustés la monumentalité de la ville et à effacer sa réputation de tristesse et de noirceur afin de la faire briller sr le plan international. Son successeur, Raymond Barre (1995-2001), donna une ampleur nouvelle à la fête, en particulier le 8 décembre 1999, à l’occasion du dixième anniversaire du Plan Lumière. Gérard Collomb, élu maire en 2001 a poursuivi sur cette trace, avec une explosion du budget dédié à cette fête, qui passa de 0,54 millions d’euros en 1999, à 1,5 en 2002, et 2 millions en 2008 »
« La Ville s’appropria la fête en l’intégrant au Plan Lumière et à la volonté de développer le tourisme à Lyon. L’aspect commercial prit alors le dessus. L’Église parut à l’écart de ce mouvement, au point qu’il n’y avait guère de concertation entre le diocèse et les services de la municipalité pour le choix des illuminations des façades des églises. En 2002, le spectacle lumineux montrait un défilé de délicieux petits canards sur la façade de la cathédrale, c’était charmant mais peu respectueux du caractère sacré du lieu. »
Voilà ce qu'aura perdu la Ville de Lyon cette année : des touristes et de l'argent. Mais regardons les choses d'un autre oeil voulez-vous ? Est-il vraiment regrettable que cette fête commerciale soit purement et simplement annulée pour raisons de sécurité ?
Personnellement, j'ai fait un tour à la Fête des Lumières il y a deux ans. J'étais aux Terreaux, pour voir les murs se muer en écran magique animé de scènes tape-à-l’œil. J'en conviens : ce sont là des prouesses techniques à voir au moins une fois dans sa vie. Mais quand le spectacle fut terminé, et qu'il s'est agi de revenir sur nos pas pour quitter les Terreaux, eh bien ce fut chose impossible : nous avons dû piétiner sur place une demi-heure durant, sans trouver d'issue, serrés comme des sardines en boîte. Et nous étions captifs d'une prison à ciel ouvert ceinturée par des agents de la sécurité qui nous encourageaient au plus grand calme, cependant que commençaient à s'affoler des dames d'un âge, lesquelles se sentaient prises au piège sans espoir d'en sortir. Et là, je n'ai pu m'empêcher d'imaginer les conséquences désastreuses d'un mouvement de panique et les dizaines de morts qu'impliquerait une psychose collective au sein d'une foule aussi compacte.
Car voilà exactement où nous en étions arrivés, l'année dernière encore : quatre jours d'enfer dans une ville explosive et asphyxiée. Il est bien beau d'admirer la Fête des Lumières à la télé. C'est tout autre chose de se trouver au milieu. Et c'est encore pire pour les habitants du centre ville qui doivent subir jour et nuit, quatre jours durant, les tam-tam d'une agitation forcenée, sournoisement infiltrée par les alcooliques et les illuminés. Je vous recommande ici vivement l'excellent article de solko qui rend compte de cette folie ambiante.
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En ce début décembre, comme chaque année, les Lyonnais véritablement sensés ferment leurs volets, tirent leurs tentures et se terrent chez eux en maudissant leur maire. (1) A grands frais bat ...
http://solko.hautetfort.com/archive/2014/12/05/la-de-fete-de-la-lumiere-5504506.html
Entre temps, nous avons oublié d'où nous venait l'humble 8 décembre et ses lumignons sur le rebord des fenêtres. Savons-nous encore ce que c'était, à la nuit tombée, que d'allumer ces milliers de petits feux follets dont la chaude clarté se reflétait dans les eaux noires du Rhône et de la Saône ? Depuis combien de temps n'avons-nous pas ressenti cette émotion particulière qui nous serre le ventre et nous rapproche intimement des autres ? - En d'autres termes, le 8 décembre, qu'est-ce que c'était ?
Le 8 décembre marque la fête religieuse de l’Immaculée Conception. Cette fête chrétienne a pour origine « la dévotion mariale qui caractérise le catholicisme lyonnais ». Sous Saint Pothin déjà premier évêque lyonnais, le culte marial était présent. Une fresque illustre cela dans la basilique de Fourvière : elle « montre l’arrivée de Pothin, avec en fond Polycarpe et Jean, et l’inscription dit qu’il introduisit la dévotion à Marie. » De plus Le pèlerinage à Fourvière, haut paroxysme de la ferveur mariale des Lyonnais est apparu très tôt comme le témoigne la chapelle mariale qui fut construite entre 1173 et 1183. C’est dans ce contexte d’attachement entre Lyon et la Vierge Marie, que les Lyonnais se tournent naturellement vers elle au XVIIe siècle, lors des pestes ou des épidémies.
La version contemporaine du 8 décembre est apparu en 1852 à l’occasion de la reconstruction du clocher de la chapelle du XVIIIe siècle.
On ne m'enlèvera pas de l'idée que cette annulation de la Fête des Lumières est une sorte de bénédiction non seulement pour les habitants du centre ville qui étouffaient parmi les touristes et le bruit, mais aussi pour ceux qui, comme moi, déploraient sourdement la transformation d'une fête religieuse en fête profane. Enfin, me dis-je, voilà l'occasion de revenir aux origines. Voilà pour tout le monde l'opportunité de découvrir et de comprendre ce qu'était véritablement le 8 décembre : un grand merci à Marie. Et cette année, exceptionnellement, le 8 décembre sera la date d'un hommage collectif aux victimes des attentats de Paris. Tous, faisons briller dans la nuit noire et sur les eaux de nos fleuves, la petite lumière de nos lumignons qui dit la foi, l'espoir, la conscience et la résistance, et qui dira cette nuit-là : nous ne vous oublierons pas.
PS - Il y a fort à parier que les marchés de Noël subiront le même sort que la Fête des Lumières. Ainsi je me dis : c'est très étrange d'avoir à revenir, par des raccourcis qu'on ne soupçonnait pas, à la simplicité des fêtes religieuses telles que nous les connaissions il y a trente ou quarante ans. La belle fête de Noël se préparera dans l'intimité du foyer. Et peut-être qu'on offrira aux enfants, pour une fois, autre chose qu'un jeu vidéo qui les incite à dégommer tout ce qui bouge.