En attendant mon train
Arrivée très-très en avance à la gare mais j'avais tellement peur de rater mon train comme au mois d'octobre. Rappelez-vous : ma Kiki m'avait fait un petit chantage affectif pour m'empêcher de partir !
La Pointe Courte sur l'étang de Thau
C'est par là qu'on arrive à La Pointe Courte. Plutôt inhabituel comme accès non ? Du reste, pas de panneau indicateur. Rien. C'est comme un cercle privé réservé aux seuls initiés. Il faut savoir, c'est tout.
J'ai appris deux choses en retournant à Sète pour la troisième fois cette année. Et d'une, je crois préférer l'étang de Thau à la mer, et pourtant la mer je l'aime depuis toujours, même si elle m'a pris mon ballon rouge, même si ses rochers m'ont fait un trou dans le genou. L'étang de Thau, c'est une ruée de flots, d'un bleu presque insoutenable tant il est beau, et il fait si gros dos qu'il est à portée de main. Le deuxième point, c'est que je préfère Sète l'hiver que l'été.
Toutes les habitations de La Pointe Courte sont aussi pittoresques que celle-ci. Elles sont alignées le long de rues et de passages rectilignes qui quadrillent toute La Pointe Courte. Dans les traverses on ne peut guère passer : les habitants garent leur voiture au beau milieu de la rue, pile devant chez eux. Ici pas de police, pas de règlement, pas d'interdiction : chacun fait comme il veut. Ce qui donne au final un heureux enchevêtrement d'éléments de déco très personnels, et de baraques en bois croulant sous les filets de pêche. C'est le paradis des aigrettes et des goélands, des chiens et des chats.
Vous voyez le linge qui sèche à l'air libre ? - Et quand je dis l'air libre, ce n'est pas une vue de l'esprit : il souffle un vent du Nord si brutal qu'il me fait perdre l'équilibre et m'arrache presque l'appareil des mains. Mais encore : quand je pense ! ... qu'à Lyon comme partout ailleurs sans doute, les copropriétés interdisent aux résidents d'étendre leur linge sur leur balcon ! - Ce qui fait de La Pointe Courte, à mon sens, non seulement une enclave hors du temps, mais aussi hors la loi. C'est le vent de la liberté qui souffle sur ce minuscule village de pêcheurs de de chats !
Les trouées entre barques, cordages et pilotis laissent apparaître, de loin en loin, le bleu époustouflant de l'étang de Thau, un bleu foncé, soutenu, qui fait penser aux mers du Sud. J'éprouve un vrai contact physique avec cette eau turbulente qui se jette à mes pieds, me gicle au visage, et ça, si c'est pas de l'amour je ne m'y connais pas.
Je poursuis ma promenade, les mains gelées sur l'APN. Le vent me malmène mais qu'importe, je retrouve un sens, une saveur à la vie que j'avais perdus depuis plus d'un an. Il me semble que vivre, c'est avoir avant tout des sensations, des émotions, ressentir de ces bouleversements de l'être qui vous emportent au-delà de tout ce que vous pouvez concevoir. L'étang de Thau, cette fois, était plus qu'un but de promenade, un point de chute : il fut une révélation. Je sais maintenant qu'il existe sur Terre, à ma portée, quelque chose qui me fait me sentir en vie.
Je vous l'accorde : ici, les décorations de Noël ne sont pas du meilleur goût, mais n'est-ce pas ce qui fait l'identité de La Pointe Courte ? - Un sens développé du désordre et de l'accumulation. C'est l'esprit qui règne ici.
On a tous un endroit dans le cœur qui nous donne l'impression d'y avoir habité, peut-être dans une vie antérieure, et le désir de retourner y vivre sans perdre plus de temps.
Derniers pas sur les quais encombrés de La Pointe Courte. Je resterais bien là, mais le vent me gèle sur pied, et puis il faut quand même que j'aille voir la mer. Je n'ai que deux heures devant moi pour traverser la ville à travers les canaux, revenir à la gare pour prendre mon train.
Cette nuit il a neigé sur Sainte-Foy. Ce matin il neigeait encore. Les gens sourient, parce que cette fois ça sent vraiment les Fêtes de fin d'année. Moi je me prépare un lumbago d'enfer. Et Kiki vient encore d'avoir un incident respiratoire dont elle s'est relevée plutôt vite, et vaillamment. C'est encore un petit miracle. Elle est ma petite merveille. Bon dimanche à tou(s)tes ← écriture inclusive.