Je me suis bloqué les reins. Arrêt de travail, j'en profite pour lire. Avec la boîte à livres qui n'en finit pas de se remplir de nouveaux ouvrages je n'ai que l'embarras du choix. Sont en attente de lecture Barrabas de Pär Lagerkvist, Substance B de Bernard Lenteric (j'en ai lu 90 pages, j'ai du mal à m'atteler à la suite), Boule de Suif de Maupassant, Le tour d'écrou de Henry James, Vers chez les blancs de Philippe Djian, Vents de Saint-John Perse, Betty d'Arnaldur Indridason.
"Restez auprès de moi, me dit-il, j'ai peur."
Je reste auprès de lui. La sueur tarit sur son front. L'affreux malaise s'évanouit. L'air coule, de nouveau, dans la poitrine misérable. Le doux regard n'a pas cessé de sourire.
(...)
Il ne parle plus. Il ne respire plus. Le cœur a buté, buté, puis il demeure inerte, comme un coursier fourbu.
Mercier est mort. Ses pupilles s'élargissent solennellement sur un abîme vitreux. Tout est fini. Il ne sera pas sauvé.
Alors, des yeux du mort, sourdent de grandes larmes qui lui coulent sur les joues. Je vois ses traits se crisper pour pleurer pendant toute l'éternité.
Duhamel, son écriture est poétique, et c'est un homme d'une grande humanité. Les premières pages se lisent avec émotion. Duhamel y décrit le calvaire de deux blessés de guerre, un jeune, un plus âgé. Le premier rentre chez lui ; le second meurt. A partir de la page 34 il est question d'autres blessés. S'ensuit une interminable énumération de moribonds, de leurs souffrances et de leur agonie. Je suis peut-être difficile, mais il me paraît impossible de s'attacher à ces hommes furtivement décrits dans un catalogue de chairs déchirées, de pansements ensanglantés, d'amputations, et d'existences odieusement sacrifiées à la guerre.
Quoi qu'il en soit, c'est le récit d'une triste réalité où les soldats ne font que passer. Ce livre, c'est avant tout le regard d'un soignant dévoué, bienveillant, plein de compassion et d'empathie ; le regard d'un témoin impuissant devant tant de souffrance.
Vie des Martyrs, sous-titré 1914-1916, est le premier roman de Georges Duhamel publié au Mercure de France en 1917. Fruit de son expérience de chirurgien, ce roman préfigure le suivant, Civilisation, pour lequel son auteur obtiendra le prix Goncourt en 1918.