C'est l'idée de Nounou : comme je ne peux pas aller à Lyon pour la Toussaint, me recueillir sur la tombe de mes parents, je descends au cimetière le Py choisir une tombe abandonnée qui sera dépositaire de leur mémoire. Très vite, je me rends compte que même les tombes les plus anciennes sont généreusement fleuries, peut-être par des exilés qui font la même chose que moi. Je tourne pas mal, en repérant quelques unes par ci par là, sans m'attarder toutefois car elles portent un nom, des dates de naissance et de mort, le portrait des personnes défuntes, et ce serait trop dur pour moi de confondre ma propre histoire avec celle de ces âmes. Alors je continue de chercher jusqu'à stopper net devant LA tombe qui recevra mes fleurs : elle est sans nom, sans date et sans portrait ; juste un beau Christ qui lui apporte sa touche religieuse nécessaire, car mes parents étaient très croyants et maman très pratiquante. Sans plus réfléchir, avec reconnaissance, je dépose ma potée de cyclamens sur la pierre.
A la suite de quoi, ne sachant rien d'elles, je m'adresse d'abord aux personnes qui reposent là, peut-être pour les remercier de bien vouloir accueillir mon étrange offrande. Puis j'essaie de parler à mes parents. Ce n'est pas facile. Je sais qu'ils ne sont pas là. La tombe que j'ai choisie pour les représenter n'a rien à voir avec leur sépulcre de marbre avec son oiseau sur la stèle. En plus de ça, passent et repassent des visiteurs chargés de leurs pots de chrysanthèmes, impossible de trouver l'intimité qu'il me faut pour apprivoiser la tombe inconnue. Après avoir cramponné mes deux mains aux grilles rouillées je m'aperçois que son petit portillon s'ouvre, facilitant le dépôt de fleurs et d'objets. Décidément je l'ai bien choisie. Il me faut maintenant mémoriser des repères pour la retrouver sans problème lors de mes prochaines visites. Voilà qui est fait. Je m'en vais, je reviens, je m'en vais ...
En m'acheminant vers la sortie je passe par la tombe de Brassens honorée par ses admiratrices et ses admirateurs qui déposent là des fleurs et de petits objets. J'y vois une pipe. Jean-Marc, j'ai associé ton nom à mes pensées, je sais que tu aimes beaucoup Georges Brassens.
A l'entrée du cimetière un défilé se prépare avec pompiers et fanfare. Tout est prétexte aux Sétois pour marcher en musique. Des chrysanthèmes du Jardin des Fleurs sont vendus dans l'enceinte et le public se presse pour regarder. Ce que je ressens après avoir déposé mes fleurs sur la tombe sans nom ? - Joie et soulagement. J'ai fait ce que j'avais à faire. Je retournerai au Py quand il y aura moins de monde pour me familiariser avec ma pierre et sa grille rouillée. J'apporterai régulièrement des fleurs. J'ai besoin de me sentir proche de mes parents. Merci Nounou. Tu m'as fait là le plus beau des cadeaux.