Lundi 23 septembre 2013 - 08:16 - L'état général n'est pas bon ce matin pourtant j'ai dormi 10 heures d'affilée mais toujours en me réveillant par intermittence. Qu'est-ce donc qui me réveille la nuit ? - Ce n'est pas la douleur, ce n'est pas le bruit, ce n'est pas le chat. A moins que ce ne soit mes rêves. Depuis que je suis "malade" je fais des rêves d'une exceptionnelle puissance et dun rare réalisme dont je garde la sensation quelques heures encore après mon réveil même si je n'ai conservé aucune trace de ce dont il était question. Quoique. Cette nuit j'avais retrouvé Brigitte, ma toute première copine d'école, ou plutôt la deuxième, la première s'appelant Marie-Claude. Brigitte c'était la copine de mes quinze/dix-huit ans. Je l'ai vue se marier. Nous avons perdu le contact peu de temps après son mariage, ce que j'ai toujours regretté car j'aimais beaucoup Brigitte, dont le caractère vif et déterminé, doucement malicieux, m'enchantait chez une fille de si petite taille. J'ai bien sûr eu d'autres copines d'école, d'autres camarades, notamment Sylvie à la fac ainsi que Françoise qui me déclara sa flamme en cours de français je crois. Au foyer j'avais Odile. Je les ai toutes perdues de vue. Dans mon rêve, cette nuit, je comptais avec Brigitte le nombre d'années où nous nous connaissions. Elle n'en revenait pas elle-même, malgré son peu d'inclination naturelle à la surprise et l'esbaudissement : nous nous connaissions depuis plus de quarante ans.
Et si ce qui me réveillait c'était l'odeur - une odeur proprement insupportable à croire que les voisins cachent des cadavres dans leurs placards. Ca fait bien quelques semaines qu'elle occupe le deuxième étage. Ajoutons à cela qu'au premier il n'y a plus de lumière et nous approcherons de l'idée qu'on se fait d'un bouge au 19ème siècle.
L'odeur (aigre et prégnante) j'avais jusqu'alors réussi à l'empêcher d'entrer chez moi en couchant un bas de porte, une longueur de chien, au bas de ma porte justement. Et ça marchait plutôt bien jusqu'à hier où j'ai respiré cette maudite odeur en me réveillant la nuit, je l'avais dans le nez. Cette nuit, pareil. Avant même d'ouvrir les yeux j'éprouvai cette petite sensation d'asphyxie que peut donner une odeur nauséabonde et persistante. Le chien n'arrête plus l'odeur. Elle est entrée dans l'appartement. Par le palier. Il devient urgent que je chope l'homme d'entretien, mercredi matin, et qu'on réfléchisse ensemble sur la nature et la provenance de cete odeur, et aux moyens de la neutraliser vite fait bien fait avant que je ne puisse plus du tout ni dormir ni respirer.
Sinon, le livre de Stephen King, Sac d'os, est peut-être bien le chef-d'oeuvre qu'annonce Philippe Dufay en couverture tout du moins, est-il un livre assez riche et dense pour qu'on prenne plaisir à le dévorer tout cru tout en se disant qu'on n'aura jamais le courage de le relire tant le texte est dru. Il faut le lire pour son atmosphère et son suspense (j'avais la trouille avant de me coucher) mais aussi pour son humour et pour toutes ces remarques qui saturent les pages à propos de la condition d'écrivain. Nul autre que lui ne sait décrire, avec autant de légéreté et de précision, "comment ça fonctionne un écrivain" - la panne de l'écrivain étant le propos du livre. J'en proposerai peut-être un compte-rendu détaillé une fois que j'en aurai terminé la lecture quoique je doive faire attention à ne pas trop en faire si je veux espérer me remettre, et tout en me ménageant du temps pour écrire moi-même.
Je me rends bien compte que les blogs ont absorbé sept ans d'énergie, sept ans pendant lesquels j'aurais pu lire des livres et en écrire. Je n'en suis pas non plus à regretter ces sept années au cours desquelles j'ai écrit des centaines de poèmes et connu des dizaines de personnes éparpillées un peu partout en France, en Belgique ou au Québec. Mais il arrive un moment où l'on éprouve le besoin de se recentrer, de s'isoler, pour "produire". Produire ; c'est à dire bouffer du texte et par le prodige d'une alchimie toute cérébrale ou toute instinctive, en extraire matière à faire du texte soi-même.
C'est comme ça que ça marche. On bouffe, on fait.
Ceci dit, même si le blog a beaucoup contribué à ma "déroute" il aura néanmoins réussi l'exploit de faire savoir que j'existe, moi, pauvre petit écrivaillon solitaire et fragile, auteur de dizaines et de dizaines de romans restés enfouis dans des coffres, des bas de secrétaire et des cartons tout mâchouillés par l'humidité et les déménagements (peut-être même que pseudo-félix est passé par là). Sans doute le blog a-t-il eu le pouvoir, en son temps, de me construire "une image sociale", une représentation de moi-même aux yeux des autres. Et sans doute en ai-je encore besoin, pour établir et préserver le contact avec mes lecteurs et pour, encore et toujours, rendre compte de mon existence, de mes fractures, de mon travail sur moi-même et de ma création littéraire. Il est ma voix. Ma voix blanche. Est-ce que ça vous dit quelque chose ?
Et maintenant je retourne à la lecture de Sac d'os qui me semble être le miroir de tout écrivain qui se respecte et qui me rassure sur ma propre panne d'écriture romanesque laquelle dure depuis bien quelques années maintenant. Ce roman touffu de 600 pages (on n'en attend pas moins de Stephen King) me nourrit le sang. C'est le troisième livre que je lis en quelques jours seulement, après Pétain mon prisonnier et Acquittée. J'en ai besoin pour me retrouver, me reconstituer, m'élever au-dessus de ce que j'étais ces dernières années. J'avais "oublié" d'écrire, n'est-ce pas un monde. Ou plutôt j'avais oublié comment on fait pour écrire.
Pour écrire il faut se sur-estimer. Oui. Ou bien se sous-estimer, ce qui revient au même. Il ne s'agit que d'éviter la norme. Il faut avoir une idée surfaite de soi-même (je suis plus sensible que les autres, je souffre plus que les autres, je suis toujours le bouc émissaire de quelqu'un, etc). Il faut faire le ménage dans son bureau et sur sa table de trravail (c'est fait). Il faut bouffer du livre jusqu'à ressentir les premiers symptômes (pas désagréables) de l'indigestion cérébrale. Il faut sans transition, et avec le plus grand naturel, passer de l'addiction-blog à l'addiction-papier. Il faut se lever en n'ayant qu'une idée en tête : lire, écrire (c'est facile). Il faut se coucher en n'ayant plus la force de s'inventer une histoire. Il faut rêver (Anne-Marie Lejeune en sait quelque chose et pourra vous raconter). Il faut ... s'abstenir de vivre et peut-être, s'abstenir d'espérer qu'il puisse y avoir pour soi, quelque chose qui s'appelle l'amour ou l'avenir. Il faut passer à table. Et commencer.