Le journaliste - Si vous
permettez, je voudrais revenir ici sur la photo qui a fait le buzz sur Internet, photo que vous aviez initialement intitulée "Le penseur et le policier" et qu'on a rabaptisée "Tabarly et les
poubelles". Vous pouvez nous en parler ?
Evor - Si je montre une fresque et que les gens ne voient que les poubelles c'est leur problème.
En fait le vrai problème c'est que de nos jours on veut tout retoucher. Les filles de 14 ans se font refaire le nez. A 15 elles se font remplir les seins de mousse alimentaire. A 16 elles sont mortes alors on leur retouche le portrait pour qu'elles ne passent pas pour des idiotes, des idiotes en bonne santé qui voulaient des courges à la place de leurs pamplemousses. Et tutti quanti. Les photos, même traitement. On expurge, on aseptise, on lisse, on refond, ce qui fait qu'au final sur les cartes postales le ciel est toujours bleu, pas de poubelle ni de voiture au milieu, pas de câbles électriques, rien qui fasse tache, l'anti-réalité quoi. Moi je ne cherche pas à faire des tableaux d'un monde utopique. Je prends des photos de ce que je vois, de ce qui me parle, et sous l'angle qui me fait de l'oeil. S'il y a quelque chose au milieu qui gêne les esthètes et les professionnels tant pis. De toute façon je ne suis pas pro je l'ai toujours dit. Je prends des photos pour le plaisir, pour garder plus longtemps le souvenir de ce que j'ai vu, de ce que je risque d'oublier, de ce que j'oublierais fatalement si je n'avais pas capturé ces instants au bon moment, c'est à dire quand j'en avais l'occasion. Ce sont des prises de vue telles quelles, réalistes, et qui ne trichent pas.
Après, l'autre problème, c'est que de nos jours on ne peut rien faire sans déclencher l'hilarité générale et s'attirer des moqueries. Les gens tournent tout en dérision il faut le savoir, il faut faire avec, sans quoi l'on ne fait plus rien. Je me rappelle avoir montré des photos de manège, vous savez ces carrousels anciens. J'avais photographié les sujets de ce manège, un cheval, une girafe, un éléphant. Eh bien il s'en est trouvé un pour me demander si je n'avais pas installé un éléphanteau sur mon canapé. Vous conviendrez avec moi que ce n'est pas vraiment de l'humour et qu'on frôle l'infantilisme.
Après, il y en a aussi qui trouvent que je ne me suis pas cassé la tête en appelant Félix mon chat noir et blanc. Pas très sympa comme remarque mais voyez-vous, ça me ferait plutôt sourire. Les gens s'imaginent qu'on leur dit tout, qu'ils nous connaissent, et que ça leur donne le droit, et les moyens, de nous vanner et de nous juger. C'est là qu'ils se trompent, et lourdement.
Le journaliste - Qu'est-ce que vous voulez dire ?
Evor - A votre avis ? (sourire)