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Le blog de Thaddée

"Ce qui parle le mieux de nous, ce n'est pas ce que nous disons, c'est ce que nous faisons. Je fais des livres qui parlent de moi sans le dire." TS | Actualité OB Kiwi et plates-formes de blogs, Déco blogs, Balades à Sète, Chroniques lyonnaises et fidésiennes, Escapades, Histoires de chats et d'oiseaux, Littérature, Photographie, Société, Poupées, Tricot, La vie ... Communauté : "Victor & Victoria", esprit shabby chic, romantique et cosy.

roman 2010 amor

Amor, 1ère partie Chap.III (suite1)

Publié le 2 Novembre 2010 par Mosca dans Roman 2010 Amor

Moi, j’étais nu.

 

- Tu commences à te familiariser avec ton nouvel habitat me dit-il en souriant un peu mystérieusement. Comment le trouves-tu ?

 

- Je ne sais pas répondis-je sans force en grattant par terre les échardes qui trouent la peau sous l’ongle. Bleu. Noir. Carré. Petit.

 

- Mais y vient à ta rencontre ta famille défunte.

 

- Comment le sais-tu.

 

- Moi aussi, dit-il à voix très basse, j’y suis assez souvent.

 

Je hochai la tête en guise de réponse. Toutes ses messages codés ne me déconcertaient plus autant qu’une semaine ou quinze jours plus tôt.

 

Le temps. Comment peut-on mesurer le temps dans une boîte où n’alternent qu’avec une extrême lenteur le jour et la nuit ? Tout s’était si ralenti. Moi, comme le reste, au passage. Il ne me paraissait plus nécessaire de défendre avec l’âpreté des mauvais jours ce qui était, de toute évidence, définitivement perdu. J’écoutais la résonance creuse des caisses de bois que furent, jadis, les horloges quotidiennement remontées. Si Dieu, si Pierre ne remontaient plus les horloges, alors moi non plus je ne voulais plus ni remonter le temps non plus qu’aller de l’avant. J’étais le caillou sec jeté dans la mare bleue de ma fenêtre et qu’on me laisse discuter avec les morts, c’était là mon ultime prétention. C’était là, mon ultime privilège.

 

- Je t’aurais cru du genre à tendre l’autre joue décrétai-je alors sans crier gare. Manifestement, je me trompais.

 

Pour le coup il resta silencieux, la tête inclinée vers le sol et les yeux baissés. Je ne lui connaissais pas encore cette fausse humilité.

 

- Si je t’avais frappé une seconde fois, renchéris-je soucieux de lever le voile de ses yeux dorés, est-ce que tu te serais défendu ? Ou bien ne fais-tu que t’enfuir dès que tu perds le contrôle de la situation.

 

- J’étais avec toi tous ces jours affirma-t-il sans se départir de son calme. Mais tu ne me voyais pas.

 

- Où ça tu étais avec moi ripostai-je farouchement contrarié qu’il continue de me prendre pour un imbécile. Tu veux dire que tu couchais avec moi tous les jours et toutes les nuits sur cette vermine de plancher ? C’est ça que tu dis Pierre ? Qu’à mon insu tu pénétrais l’intimité de mes réflexions personnelles sur le non-sens de la vie ?

 

Il se mordilla la lèvre avant de se lever pour toucher, du plat de la main, la vitre froide. Il y tint longtemps plaquée sa paume ouverte en me regardant par-dessus son épaule droite comme pour me narguer. Et il était si grand, si noir à contre-jour, que je ne savais plus trop à qui j’avais affaire, un officiant de messes noires ou vraiment un homme saint. Ses cheveux épars, naturellement torsadés et luisants, déversaient des nichées de couleuvres ondulantes entre ses omoplates.  J’aurais voulu mettre la main dans ce nid de serpents, les serrer dans mon poing, tirer dessus de toutes mes forces pour le forcer à plier le genou, l’amener à se traîner à mes pieds pour me demander pardon du mal qu’il me faisait sans même s’en rendre compte, rien qu’en respirant près de moi. La grandeur du personnage me tournait la tête. S’il me l’avait demandé, je me serais mis à prier sans connaître un traître mot de la moindre prière.

 

[A suivre]

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Amor, 1ère partie Chap. III

Publié le 31 Octobre 2010 par Mosca dans Roman 2010 Amor

Chapitre III

 

  C'est un morceau de ciel, putain, Pierre !

 

 

 

Plusieurs jours se passèrent sans que réapparût Pierre. Et dans la solitude où j’étais, même si j’appelais son retour de tous mes vœux il ne me tardait pas d’être de nouveau face à lui. Il me faisait trop de mal.

 

Le temps que dura la séparation je m’efforçai tant que je pus de m’acclimater à mon improbable mode de vie. Pas facile quand on manque de tout, quand on est absent à soi-même. Bien sûr il aurait fallu que j’écrive, cela m’aurait au moins distrait de ma mélancolie, mais pour être l’instrument de cette impossible Force Créatrice qui vous passe à travers le corps il faut être disponible et je ne l’étais pas. Vide oui je l’étais. Vide et sans forces. Mais certainement pas disposé à rédiger mes mémoires ou ne serait-ce qu’une lettre à mes chers disparus. Si tant est qu’ils aient bien disparu. Que je sois le seul rescapé de quelque apocalypse dont je ne gardais, malheureusement pour moi, aucun souvenir. J’aurais pu reconstruire ma vie sur des ruines. Mais par-dessus le trou béant de l’oubli, je ne le pouvais pas.

 

Souvent je me tenais étendu par terre sur le dos, fermant les yeux pour conserver intacts en moi le cadre écaillé de ma vitre et son contenu de clarté bleue. Cette image se gravait au fer rouge sous mes paupières brûlantes puis, se ridant comme la surface d’un étang, se ternissant comme un mirage, elle laissait place au contour flottant d’une espèce de flaque incolore mais c’était elle encore, ma fenêtre bleue aux mille visages, ma toile de maître aux couleurs changeantes et le miroir d’obsidienne qui me permettait d’entrer en contact avec les morts.

 

A défaut des vivants, il me restait donc les morts.

 

Je n’avais jamais autant salué mon père, mes sœurs et mes grands-parents qu’en ces jours d’insondable tristesse où j’allais, malgré moi, vers le recueillement. Point de tombe ni de cimetière. Point de fleurs, ni de croix. Mais ce lac miniature aux bords tremblants, collé sous mes paupières, où passaient inlassablement les visages familiers.

 

J’apprenais à me calmer.

 

C’est à cette époque-là d’abandon physique et mental aux visions d’outre-tombe que se manifesta Pierre. Il portait toujours sa robe de bure et sa croix de fer enroulée dans une corde autour du cou. Ses yeux, plus que jamais, se chargeaient de lumière et d’amour au jour de son retour. Il était pâle et beau comme un pâtre qui aurait traversé pieds nus le désert insensé pour recueillir en son sein la brebis égarée. Je fis mine de me lever à son approche. Il me fit signe de rester à terre et s’assit près de moi. Une odeur de fibre naturelle, chaude et sèche, émanant de son habit, m’agaça les narines. Il était tout entier cette corde, cette bure, qui me bouchaient les pores et me sortaient par les yeux.

 

Moi, j’étais nu.

 

 

[A suivre]

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Amor, 1ère partie Chap. II (fin)

Publié le 28 Octobre 2010 par Mosca dans Roman 2010 Amor

« Je croyais que nous étions seuls vous et moi » lui fis-je remarquer en me raidissant. « Nous l’étions à l’instant, dit-il avec un certain détachement. La roue tourne. »

 

- Et eux, ils vont et viennent comme ils veulent ?

 

- Mais toi aussi, que ce soit bien entendu, tu peux aller et venir à ta guise.

 

En étouffant un gémissement je le poussai pour dégager la porte et sortir devant chez moi. Personne sur le palier. L’escalier était désert. Plus aucun bruit ne montait des étages inférieurs. Dans l’obscurité des murs tendus de tissu, du plancher revêtu de moquette, on ne percevait que les deux temps de nos deux respirations. La mienne tournait court, j’avais trop de peine à comprendre ce qui se passait. La sienne, profonde et mesurée, rendait la mienne encore plus follement nerveuse et fébrile.

 

A tâtons je cherchais un interrupteur. Il devait y avait une minuterie quelque part. Il devait bien y avoir l’électricité ! « Pour quoi faire on se le demande grondai-je au bout du rouleau, bénie soit la lumière du jour. » On était au dix-neuvième siècle et un préposé, sacoche en bandoulière et perche à crochet sur l'épaule, devait se ramener pour moucher, à cette heure, les becs de gaz. Je me pris à rire de cette histoire de fous. Accoudé sur le mur, la tête au creux du bras, je m’en étouffais mais Pierre ne réagissait toujours pas.

 

- Tu sais quoi, lui dis-je après m’être repris, avec l’accent de la menace, c’est un jeu qui ne m’amuse pas du tout. Alors ta porte de l’espace-temps tu la rouvres et tu me renvoies là d’où je viens, chez moi, au vingt-et-unième siècle. Et tu me rends tout ce qui m’appartient.

 

- Je ne te dépossède en rien de tout ce qui t’appartient.

 

- Ah non ?

 

Je fis volte-face avec une imprévisible violence histoire de le déstabiliser un bon coup mais il restait là figé sur place avec la persistance de l’inerte et la patience infinie d’un objet. « C’est quoi ce cirque !? » lui criai-je à la figure et je lui désignais d’un mouvement circulaire la mansarde et le palier, l’escalier, la maison, la rue supposée dans laquelle elle était construite et la ville où l’on pouvait remonter cette rue si tant qu’elles existent, la ville, et la rue, et la maison !

 

- Toi tu existes dit-il froidement.

 

Ce fut les trois derniers mots qu’il proféra du moins ce matin-là. J’en avais tellement ma claque de ses répliques à la con. Celle qu’il reçut, de claque, appliquée de plein fouet sur la joue droite, le cloua sur le mur de fond. Il y resta pour ainsi dire scotché les bras faiblement écartés, les paumes à plat derrière lui, tandis qu’un peu de rougeur empourprait ses minces et souples maxillaires. Et le regard qu’il dardait sur moi n’était ni plus ni moins ardent qu’à l’accoutumée.

 

- Dégage, commandai-je d’une voix brève.

 

Il se redressa, remit bon ordre aux lourds drapés de sa robe et traversa la pièce d’un pas assuré. Ma parole… rien ne l’ébranlait ?

 

- Pierre, le rappelai-je encore plus brièvement alors qu’il s’engageait dans l’escalier.

 

Mais il tenait bon la rampe et, cette fois, ne s’arrêta pas.

 

 

[A suivre]

 

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Amor, 1ère partie Chap. II (suite 2)

Publié le 10 Octobre 2010 par Thaddée Sylvant dans Roman 2010 Amor

 Les hommes habités sont de terribles prédateurs.

 

- Est-ce que je pourrais avoir au moins une table, une lampe, et de quoi écrire, lui demandai-je avec empressement.

 

« Ecris assis par terre à la lumière du jour » me répondit-il en extirpant de sa poche une liasse de feuillets brunis reliés par une ficelle. Il y pendait un bout de crayon à papier mal taillé. La chaleur de ses doigts  me tenailla la chair au moment où il me donnait le nécessaire de la main à la main. Préviendrait-il ainsi le moindre de mes désirs, tous les jours jusqu’au dernier ? Pourquoi, alors, me déniait-il le droit de sortir d’ici ? Pourquoi ne me guidait-il pas vers la lumière et la liberté s’il était, selon toute vraisemblance, un homme de Dieu ? Pourquoi m’était-il impossible, voire interdit, de le suivre là où il allait ? Du reste où allait-il quand il me quittait. Où vont les hommes d’église quand ils quittent l’autel. Est-ce qu’il avait soif, est-ce qu’il avait faim, est-ce qu’il était fatigué, est-ce qu’il souffrait autant que moi ? Où n’était-il plus du tout humain depuis bien longtemps déjà ?

 

Qui était-il et que me voulait-il. A quel titre s’arrogeait-il le droit de me manipuler comme une marionnette de chiffons ? Je sentais son empoigne à l’intérieur de moi, brutale et sensuelle à la fois. Il faisait de moi ce qu’il voulait.

 

- Mon Dieu, murmura-t-il en me devinant pris dans la tourmente des questionnements, ne te torture pas autant, laisse venir à toi la lumière du jour et l’étoile du matin. Simplifie-toi !

 

- Ne me suis-je pas déjà assez simplifié !? lui retournai-je, écartant les bras en signe de renoncement. Hein ? Qu’est-ce qui me reste ? Je n’ai plus rien à moi, rien. Je suis seul et condamné à rester ici sans même savoir pourquoi ! Tu m’as pris ma vie ! lui criai-je de ma voix la plus rauque, et tu veux que je me simplifie !? Que peux-tu me prendre encore ?

 

« Ma peau ? » lui suggérai-je dans un ricanement révulsif et me ressaisissant avec un subit effroi : « Mes pensées, mes souvenirs, mes rêves ? C’est ça que tu veux, me vider la tête pour t’installer à ma place et vivre ma vie à ma place ? »

 

Et tandis que j’entrais en crise, le soleil se levait. La blancheur du ciel à l’aube, par le carreau minuscule, s’installait confortablement dans mes trois mètres carrés de mansarde et rafraîchissait mes fièvres nocturnes. Il n’y avait pas d’âme errante rôdant autour de nous. Sur le palier, des serrures cliquetaient et des portes claquaient. « Je croyais que nous étions seuls vous et moi » lui fis-je remarquer en me raidissant. « Nous l’étions à l’instant, dit-il avec un certain détachement. La roue tourne. »

 

[A suivre]

 

Si vous avez manqué le début → Amor, roman, 2010.

Cliquer ici.

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Amor, 1ère partie Chap. II (suite 1)

Publié le 3 Octobre 2010 par Thaddée Sylvant dans Roman 2010 Amor

 

J’avais envie de voir Pierre.

 

Alors je me levai dans le noir pour aller ouvrir la porte mais elle était bloquée. Je tirai dessus par secousses. Elle me résista. « Pierre ! » ordonnai-je à haute voix. Un silence de mort, le même que celui de la veille au soir, glaçait le palier, l’escalier et les deux étages de la vieille maison. Les appartements voisins m’avaient l’air vides. Aucun son n’émanait des cloisons ni du sol. On n’entendait aucun cliquetis sec de serrure. Aucune allée-venue dans l’escalier. Rien qui laisse supposer que l’immeuble fût habité.

 

J’étais donc seul sur la Terre.

 

- Sur la Terre peut-être pas me répondit Pierre en surgissant à ma porte comme une pâle émanation de l’esprit, mais en quelque sorte nous sommes seuls tous les deux.

 

- Ça vous arrive de vous exprimer autrement que par énigmes lui dis-je avec une agressivité bourrue, bien content malgré tout d’avoir un peu de compagnie.

 

J’espérais qu’il m’apporte de bonnes nouvelles.  Peut-être l’annonce d’un retour dans le passé. Tout en redoutant qu’il se récrie méchamment : « Remonter le temps ? N’y compte pas !  ». Mais il ne lisait pas mes pensées ce matin. Il regardait vers le carreau encore tout obscurci par l’interminable nuit des fins d’été. L’or vieilli de ses regards ardemment rivés sur Vénus m’évoquait irrésistiblement la patine craquelée des icônes. Sa face émaciée de saint comme éclairée de l’intérieur par une veilleuse, le pressentiment de la douce et forte souplesse de ses muscles sous l’habit rude me rassuraient presque à mon insu. Dussions-nous rester seuls tous les deux ensemble jusqu’à la fin des jours, promesse qu’on se fait mais qu’on tient fort peu souvent dans d’autres circonstances, je regrettais pourtant le temps de mes amours trahies – je devais bien en avoir sur mon compte, moi aussi.

 

« Je suis pas quelqu’un de bien c’est pour ça que je suis là ? » le questionnai-je à brûle-pourpoint. Je lui montrais du menton mon horizon bouché dont il fit le tour d’un mouvement des yeux sans tourner la tête. On aurait cru qu’il évitait de me regarder en face.

 

- As-tu beaucoup marché ? me dit-il simplement.

 

- Je suis resté couché.

 

« C’est bien. » Il approuvait d’un imperceptible signe de tête. Il ne pouvait pas se tenir physiquement plus près de moi. Il ne pouvait pas non plus me paraître plus lointain. C’en était intimidant. J’étais de fait plus impressionné qu’à notre première rencontre la veille au soir. Mais cela devait tenir au fait qu’il détenait la clé de mon destin. Pour un peu je l’aurais soupçonné d’avoir écrit de sa main, dans le grand livre universel*, le ridicule petit paragraphe par lequel il me jetait aux oubliettes. Les hommes habités sont de terribles prédateurs.

 

 

[A suivre]

 

Le grand livre universel - voir détail dans l'article Le Livre de la vie (cliquer ici).

Retrouvez Amor dans la Rubrique Amor, roman 2010.

 

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Amor, 1ère partie Chap. II

Publié le 30 Septembre 2010 par Thaddée Sylvant dans Roman 2010 Amor

 

Chapitre II

Écris assis par terre à la lumière du jour

 

 

 

Toute la nuit, ma première nuit en prison, si choqué j’étais par ce brusque revirement de situation, commotionné par mon entrevue avec Pierre que je ne pus fermer l’œil. Je souffrais confusément d’avoir perdu ma vie d’avant, conscient, quoique si peu, d’avoir laissé là-bas des êtres chers, ma mère, un ami malade et peut-être d’autres personnes dont j’avais oublié jusqu’au visage et jusqu’au nom. Je me rappelais surtout, par saccades, avec une fiévreuse angoisse, des éléments du quotidien qui ne m’appartenait plus. Des meubles anciens, des livres rares et des paperasses dont il avait fallu me débarrasser mais j’ignorais dans quelles conditions. J’avais sacrifié mon existence entière à ce grand Commencement ainsi que le nommait avec son ironie douce-amère l’intraitable Pierre. Autant dire qu’en bradant aveuglément tous mes biens pour je ne sais quelle cause dont le sens dépassait mon entendement j’avais également mis au clou l’homme que j’étais avant le grand chambardement. J’étais désormais sans identité, couché nu sous le ciel. Un ciel réduit au format d’un mouchoir avec lequel il ne me restait plus qu’à sécher mes reniflements.

 

D’où viens-tu n’arrêtais-je plus de me demander avec une obsession pénible. Si tu te rappelais d’où tu viens, peut-être comprendrais-tu  enfin où tu es. Peut-être serais-tu libre de décider à tu vas. Mais comme dit l’autre, si tout est écrit, à quoi bon lutter pour te refaire une vie décente. Tu ne peux pas revenir en arrière. Si tout au moins tu pouvais obtenir des réponses aux questions que tu te poses. Mais Pierre est comme un mur qui te coupe du monde. Il est un obstacle à la lumière et à la vérité. Les trous noirs sont plus cléments que ce roc humain planté en travers de ton chemin.

 

Sur les coups de cinq ou six heures du matin je vis s’incruster la petite broche d’argent sur mon carreau noir. Mon premier rendez-vous avec l’étoile du matin. Blanche et brillante elle était en dépit du fort taux d’humidité qui voilait et brouillait la vitre. En étirant le bras au-dessus de moi je pus même sentir au bout de mes doigts la froide mouillure du verre  et s’écailler la peinture du cadre. Absent je léchai mes doigts pour retrouver le goût de l’air libre. Ce n’était qu’un peu d’eau mais qui me fit un mal de chien parce qu’il n’était plus question pour moi d’aller me balader dans les rues. A vrai dire il n’était plus question de rien. Je n’avais plus ni soif ni faim. Je n’avais pas non plus spécialement sommeil bien que je me sente affreusement fatigué. Et j’avais mal dans tout le corps, certes, mais noyé comme j’étais dans les vagues de la nostalgie je souffrais plus d’être séparé de mon passé que d’être logé à cette enseigne inconfortable.

 

J’avais envie de voir Pierre.

 

       

            [A suivre]

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Amor, 1ère partie Chap. I (fin)

Publié le 27 Septembre 2010 par Thaddée Sylvant dans Roman 2010 Amor

- Eh bien marche et tourne en rond si c’est ce que tu veux conclut-il avec une esquisse de sourire. Bon courage l’Arpenteur.

 

Il me tournait le dos. Son départ me promettait la solitude. « Attends ! » jetai-je fiévreusement dans sa direction. Il s’était engagé déjà dans l’escalier. A mon appel il s’arrêta et se retourna de trois-quarts. Je ne distinguais plus les traits de son visage dans l’obscurité. Il ne me restait qu’à peser dans mon cœur serré la masse rassurante de son torse et caresser le regret de ses intonations chantantes et chaleureuses. J’avais peur du silence qui m’attendait. Je savais que j’aurais peur en son absence.

 

-  Qu’est-ce qu’il y a dehors, lui redemandai-je avec effroi. Est-ce que je peux venir avec vous ?

 

- Tu ne peux aller nulle part avec moi.

 

Sa douceur me terrifiait. J’aurais préféré qu’il se mette à crier pour m’empêcher de sortir. Mais il ne bougea pas d’un cil même lorsque j’eus franchi le seuil et descendu d’une marche l’escalier qui s’enfonçait dans le noir. « Tu ne peux aller nulle part avec moi » se borna-t-il à répéter complètement immobile en dessous de moi. J’avançai quand même pour le rejoindre. Il m’attendait. Dans l’ombre j’eus le pressentiment qu’il étirait le bras pour me soutenir ou m’attraper. Je tendis la main vers lui pour me guider au milieu des ténèbres. En tâtonnant je cherchai à toucher sa main, son vêtement, quelque chose de lui que je ne parvins pas à trouver. « Où êtes-vous ! lui criai-je entre frayeur et colère. Parlez-moi, guidez-moi avec votre voix ! » Je descendis encore quelques marches en me tenant au mur. Un souffle froid remontait des étages inférieurs avec un silence de mort. « Pierre ! » l’appelai-je fou d’angoisse. Il ne répondit pas. Je brassais de l’air vide. Il n’était plus là !

 

Alors arpente martelait sa voix dans ma tête toute froide. Ah mon Dieu mon Dieu ! me surpris-je à me lamenter en remontant les marches, une main contre le mur et l’autre sur la rampe. J’avais le vertige comme, aux jours de grand vent, sur l’esplanade au-dessus de la ville.

 

L’esplanade ! Le choc faillit me faire passer par-dessus bord. « Pierre ! l’appelai-je aux prises avec la plus affolante névrose qu’on puisse imaginer, je me rappelle maintenant ! Pierre, je voulais vivre ici, je me souviens de l’esplanade et d’une terrasse rouge avec des balustres bleus, c’est là que je voulais vivre, est-ce que c’est là que je suis ? J’ai réalisé mon rêve ? Dites !? C’est la réalité ? »

 

- Pierre !

 

Mais ne rivalisaient que ténèbres, vide et silence. En trébuchant de faiblesse je me hissai péniblement jusqu’à mon étage et me traînai vers ma porte ouverte. A l’intérieur de la minuscule pièce mansardée je m’affaissai tout hébété par la trahison du seul être qui ait réussi à me suivre ou me précéder jusqu’ici. Je m’y roulai sur le dos pour voir les choses en face. Et l’œil de verre était là. Un écran noir. Un miroir sans moi dedans.

 

          

              [A suivre]

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Amor, 1ère partie Chap. I (suite 2)

Publié le 26 Septembre 2010 par Thaddée Sylvant dans Roman 2010 Amor

- Est-ce que je suis… prisonnier ? demandai-je soudain très enroué.

 

Il s’écarta tout aussitôt de la porte pour m’en céder l’accès. « Non répondit-il d’un air passablement surpris. Je t’en prie, passe le seuil si tel est ton désir. »

 

Mais je me méfiais de la facilité déconcertante avec laquelle il me libérait le passage. « Qu’est-ce qu’il y a dehors ? » demandai-je avec une inquiétude rude. Il se retourna vers le palier sombre et l’escalier qui descendait dans le noir. A l’étage on n’entendait rien derrière les autres portes. « C’est la nuit dit-il doucement sans me regarder. Tu es fatigué. Dors un peu, repose-toi. Tu y verras plus clair demain matin. »

 

- Est-ce que vous reviendrez demain matin ?

 

- Je ne serai jamais très loin l’Arpenteur. Il te suffira de vouloir me rencontrer pour que j’arrive.

 

- Pourquoi est-ce que vous m’appelez l’Arpenteur ? J’aurais même perdu mon nom dans l’histoire ? Il en reste plus au chien qu’on sort du chenil sans sa gamelle et son os ! A lui il lui reste son nom !

 

« Et comment veux-tu donc t’appeler » me dit avec sévérité cet homme qui s’appelait Pierre et qui gardait sur lui, dans les profondes poches de son long manteau brun, d’indénombrables trousseaux de clés. De grosses clés noires écaillées par la rouille il m’en avait donné un aperçu en m’ouvrant la porte de la mansarde. Et ça ferraillait là-bas dedans au moindre de ses gestes, au moindre de ses pas, comme la funeste menace d’une captivité sans issue. « Tu te revendiques terrien, tu ne veux pas habiter au ciel. »

 

- Je suis ! terrien, lui criai-je âprement.

 

- Alors arpente me dit-il d’un ton dur, et tais-toi. Quand tu auras fait dix fois le tour de ce qui te reste, c’est-à-dire rien, compte là-dessus, tu reviendras à de meilleurs sentiments.

 

- Des menaces maintenant ? l’interrompis-je en ricanant. Si je veux je sors d’ici tu l’as dit toi-même.

 

« Tu as de la chance que je sois fatigué ce soir, ajoutai-je dans un accès de rage, les nerfs me lâchaient face à ce geôlier qui me jouait, je n'en croyais pas mes oreilles et mes yeux, son numéro de charme, sans ça je serais déjà parti. Mais tu verras demain si j’arpente encore ta piaule de trois mètres carrés, tu verras si je me couche pour mater le ciel à longueur de temps. Tu crois que c’est une vie de rester à ne rien faire ? Je ne veux pas de ton salut ! Je veux retourner d’où je viens !

 

Il ne bronchait pas. Ses yeux promenaient lentement sur moi des regards caressants. Je l’aurais tué.

 

- Dis quelque chose ! lui crachai-je au visage.

 

- Non dit-il sans reculer. Je t’ai dit tout ce que j’avais à dire. Là-haut, dit-il en tendant vaguement la main vers le carreau blafard, tu peux loger toute ta famille, tu peux mettre toutes tes affaires, engranger tes souvenirs et te bâtir un avenir.

 

« Mais ici-bas dit-il en tapant du talon par terre et en me fichant en travers de la figure un de ces regards par en-dessous dont il avait le secret, tu ne peux rien faire à part te replier sur toi-même et t’étioler comme une plante privée de lumière. Renonce à tes attaches terrestres.

 

- Jamais, articulai-je en le regardant droit dans tes yeux.

 

- Eh bien marche et tourne en rond si c'est ce que tu veux conclut-il avec une esquisse de sourire. Bon courage l’Arpenteur.

 

 

[A suivre]

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Amor, 1ère partie Chap. I (suite 1)

Publié le 25 Septembre 2010 par Thaddée Sylvant dans Roman 2010 Amor

« Je n’aime pas, répondis-je sans aménité, votre façon de parler. » D’une manière générale je n’aimais pas sa façon d’être qui m’inspirait un sourd malaise et, par voie de conséquence, une crainte hostile. Ce n’était pas qu’il fût désagréable à voir au contraire. Il était plutôt, même, attirant. Je ne sais pas d’ailleurs à quoi cela tenait : si c’était au nacre délicat de son masque éclairé par un iris pâle et scrutateur, à l’élégance racée de sa silhouette, à ses manières un brin trop distinguées, aux intonations suaves de sa voix, à l’odeur presque palpable qu’exhalait toute sa personne, aussi bien son linge que sa peau. Toujours est-il que j’étais moi-même en proie au trouble que devaient injecter dans le cœur des nouveaux arrivants son autorité naturelle et sa position, indiscutablement supérieures aux nôtres, par la force des choses, puisque il était notre éclaireur de conscience à nous, les bannis.

 

Ceci dit. - Qu’est-ce que j’avais fait pour mériter ça ?

 

- Crois-tu donc avoir commis quelque faute ? se récria-t-il tranquillement. Mon Dieu non, ôte-toi cette pensée de l’esprit, tu n’es coupable de rien.

 

- Alors qu’est-ce qui me vaut d’être ici.

 

 

- Mais… et il paraissait très sincèrement dérouté par ma question, c’est la vie l’Arpenteur, tu sais bien que tout est écrit.

 

- Ah non, lui répondis-je à mon tour avec un calme écrasant de froideur, pas de fatalité. Par pitié.

 

« Par pitié » répéta, détimbré, mon hôte. Ses yeux trop pâles attachaient aux miens leur étrange regard un peu dérangeant. Il me dévisageait avec tant d’insistance que son indiscrétion m’oppressait presque plus que l'inéluctable approche des ténèbres et l’exiguïté du réduit dans lequel j’étais appelé à vivre. Non moins que son regard fixe, je souffrais nerveusement de l’indifférence sarcastique avec laquelle il me renvoyait tous mes arguments. C’était impossible de discuter avec lui. Avant que d’être seul, livré à mes souvenirs, à mes angoisses, je tournais en rond. « Ça s’est passé si vite, m’excusai-je en bredouillant, du jour au lendemain, je vivais sans rien demander à personne et… ». Je ne me rappelais pas précisément, du reste, ce qui s’était passé. Je souffrais encore d’avoir dû me séparer de ma famille et de mes affaires. Mais dans quelles circonstances avais-je dû tout laisser derrière moi je n’aurais su le dire. Et quand je regardais en arrière je voyais ma vie dans un brouillard. Elle m’apparaissait irréelle ainsi qu’une ville noyée dans les brumes de l’aube. Des regrets j’en avais pourtant. Le manque, je l’éprouvais cruellement dans le dénuement où j’étais. J’étais triste, et en colère. Mais contre qui, contre quoi. Contre lui peut-être qui me barrait la route du retour. Contre lui dont le corps mince mais tellement incontournable ! occupait le chambranle de la porte, occultant tout espoir d’en sortir vivant.

 

- Est-ce que je suis… prisonnier ? demandai-je soudain très enroué.

 

 

[A suivre]

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Amor, 1ère partie, Chapitre I

Publié le 24 Septembre 2010 par Thaddée Sylvant dans Roman 2010 Amor

 

1ère Partie

 

 

Chapitre  I

Tu ne peux aller nulle part avec moi

 

 

 

           Depuis longtemps je suis tenté de raconter mon histoire. Où j’habite et ce que je fabrique de mon temps.

 

           J’occupe trois mètres carrés de mansarde. Seule m’éclaire une fenêtre de toit, par où je n'enfile guère que le bras pour avoir l’impression d’attraper l’étoile du matin quand je ne dors pas. Je passe le plus clair de mes jours et de mes nuits couché par terre à contempler ma surface habitable de ciel bleu.

 

A la date de mon installation, c’était un trente août je m’en souviens comme si c’était hier, le Gardien des Clés (tel qu'il s'intitulait avec satisfaction) m’accueillit en me montrant la petite ouverture ingrate au-dessus de ma tête : « Là-haut, c’est chez toi. Tu peux t’en servir comme tu veux. Ça n’a l’air de rien à première vue mais c’est un espace extensible à l’infini. Teste-le tu verras. »

 

Je suis terrien moi. Je ne résiste pas au besoin pressant de prendre et de m’approprier. Qu’est-ce que je pouvais bien faire d’un carreau pollué par les pluies carboniques ? Il devait être autour de dix-neuf heures, on n’y voyait déjà plus guère et je me représentais l’avenir tassé sous cette trappe où je ne pouvais même pas passer la tête.

 

Et cependant qu’en mon for intérieur je me désespérais de la situation telle qu’il me la présentait il renchérit, à croire qu’il savait aussi lire dans les pensées : « Mais si tu préfères te contenter de la pauvreté misérable à laquelle te voici condamné, et vivre nu, sans aucun effet personnel et sans aucun bien matériel, dans ce grenier ridicule et minuscule, entre tes quatre murs de pierre et sur le plancher qui grince, libre à toi. Comprends que je t’offre la voie du salut, mais que rien ne t’oblige à la suivre ».

 

- Vous m’offrez. Je n’ai rien demandé.

 

- C’est façon de parler.

 

"Je n'aime pas, répondis-je sans aménité, votre façon de parler."

 

 

[A suivre]

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