Quand notre lourde peine sera levée, je ferai quinze fois le tour de la ville à scooter. J'irai marcher jusqu'à l'étang de Thau, là où il n'y a personne. Et je me réconcilierai avec mon rêve d'habiter à Sète.
Quand je voyais, à la télé, des Chinois marcher avec des masques, et ça fait des années, je me disais : "Mais comment font-ils pour vivre avec un masque sur la figure, moi je ne pourrais pas vivre comme ça". Et puis le couperet est tombé. C'est notre sort à tous maintenant : porter un masque, éviter tout contact avec nos semblables, et limiter nos déplacements.
Quand j'ai réalisé mon rêve d'habiter à Sète, je ne pouvais pas imaginer que ce serait pour y subir le confinement. Quarante ans ! ... j'ai vécu à Lyon, et il faut que ça se passe à Sète. Alors on peut comprendre que mon rêve ait été un peu abîmé au passage. Mon premier printemps sur l'île singulière, je suis passée à côté.
Deux mois que je vis seule sans parler à personne. Deux mois d'isolement.
Et puis hier il a été dit que nous ne pourrions pas quitter notre département avant plusieurs mois. Etre condamnée à vivre à la mer, il y a pire n'est-ce pas.
Mais je pense à tous ces gens qui ont perdu ou qui vont perdre quelqu'un. A tous ces gens qui vont perdre leur commerce. A tous ces gens que l'épidémie n'a pas épargnés. Qui sont malades, ou morts, ou qui vont mourir. Je pense au contrecoup de ces deux mois d'enfermement. Je pense à la vie d'après qui n'aura plus rien à voir avec la vie d'avant. Comment faire comme si de rien n'était.
Et si ce virus n'était que le premier d'une longue série de virus inconnus. Un malheur n'arrive jamais seul. Et si tous les effets de ce virus ne s'étaient pas encore manifestés. Et qui sera touché par la deuxième vague ?
Ce matin, à quinze jours du grand jour de notre libération, je craque. Le seul fait d'envisager la suite de ma formation m'accable de dépit et d'amertume. Aucune nouvelle de ma formatrice, pas un mot d'empathie, rien de rien. Et au bout de deux mois de confinement je reviendrais le sourire aux lèvres (sous mon masque) fin prête à rechercher un emploi dans un monde économiquement exsangue et bouleversé ? Mon immersion professionnelle n'aura-t-elle pas quelque chose d'un peu vain ?
Mais encore. Faire la queue devant les magasins, sans frôler quiconque, et sursauter nerveusement dès que quelqu'un s'approche un peu trop près. En longeant le quai, voir tous ces cafés et restaurants fermés. Me dire que le dimanche matin, quand on pourra retourner aux Puces, il manquera certaines personnes, décédées pendant l'épidémie.
Je pense à tous les gens que j'ai connus, immobilisés chez eux, qui pensent peut-être à moi. Je pense à ma toute première copine, à mon amie de fac, à tous ceux qui furent mes amis et qui ne le sont plus. Je pense à mes parents, que ce virus aurait tués s'ils n'étaient déjà morts de leurs soucis de santé. Je pense à mon frère qui travaille, qui ne donne pas de nouvelles, ou si peu. Qui prend des risques inconsidérés, à quelques mois de la retraite. Je pense à ceux qui ne pourront pas encore sortir librement après le 11 mai, parce qu'ils ont plus de soixante-cinq ans. Je pense à la mer, à la plage, aux bains de mer, et je pense à notre grande fête de la Saint-Louis, annulée tout comme le fut Escale à Sète. Je pense à Noël.
Tout petit oiseau sur la branche, tout pétillant ce matin. Les animaux sauvages sont entrés dans les villes et respirent un air pur. Aucun tintamarre si ce n'est, à 20 heures, celui des applaudissements et des crécelles, en remerciement au personnel soignant, qu'approuvent les aboiements d'un gros chien sur son balcon.
Je n'ai pas pu écrire avant, je trouvais ça tellement dérisoire de vous montrer mes tricots, je n'ai pas pu vous rendre visite, ça m'aurait fait trop mal de voir des photos de notre monde tel que nous avions le droit de l'admirer il y a encore quelques mois. Je ne suis pas assez hypocrite pour m'exclamer devant telle ou telle splendeur qu'en d'autres temps, j'aurais célébrée de toute mon âme.
Je ne saurais vous dire si vous m'avez manqué, car très peu nombreux sont ceux qui ont pris de mes nouvelles et des nouvelles de mon Félix. Ceux-là je les remercie du fond du cœur, ça m'a touchée plus que je ne saurais le dire.
Et maintenant que tout est dit, place à ce que j'ai fabriqué tous ces jours, d'abord un tricot, ensuite un poème. Il va sans dire qu'il s'agit de la partie émergée de l'iceberg car la tête sous l'eau, j'en ai fait des choses, mais je n'ai pas forcément envie d'en parler sur ce blog.
Et puis mon poème, titré "Vent de sable"
J'ai vu passer un brouillard © Thaddée, dimanche 26 avril 2020 |
Voilà, je retourne au silence et à la solitude du confinement, j'ai une petite barboteuse en cours, un autre poème que j'ai écrit mais je ne sais pas si je le mettrai en ligne, je n'ai pas trop le cœur à bloguer. Ca reviendra ou pas.
Je ne sais.