Masque peint du XVIII ° siècle employé par les sorcières pour le dédoublement de la personnalité. Musée ethnographique, Palerme.
COLLECTION FOLIO BILINGUE Traduit de l'italien par Nino Frank
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Je n'ai aucun talent de critique littéraire ; j'ai beaucoup de mal à raconter les livres que j'ai lus. Mais celui-ci je l'ai dévoré d'une traite (en deux jours pour tout dire ; injuste pour Calvino qui a dû mettre des mois à l'écrire...) et je voulais quand même en parler un peu.
Pour constituer ce recueil de contes issus du folklore national, Calvino a plongé dans la mémoire des régions italiennes : Ligurie (L'homme tout vert d'algues) ; Montferrat (Les trois châteaux) ; Trentin (La bague magique) ; Istrie (Beau-Front) ; Ligurie (Corps-et-pas-d'âme) ; Piémont (Le nez d'argent) ; Turin (Le Prince canari) ; Piémont (La barbe du Comte) ; Sicile (Un navire chargé de...) ; Sicile (Colas Poisson) ; Sicile (Les noces d'une Reine et d'un brigand).
Moi, ce qui a frappé mon attention tout de suite, c'est la grande liberté que prend Calvino avec les "accords de temps". Il passe allègrement du présent à l'imparfait au sein d'une même phrase. Un "vice" de traduction ? - Je ne pense pas, pour avoir jeté un coup d'oeil sur la version originale (italienne) placée vis-à-vis de la traduction de Nino Frank. Je ne pratique pas l'italien mais il n'est pas sorcier d'y déceler les mêmes "infractions" grammaticales. Heureuses infractions, qui donnent au récit ce ton "parler" très nonchalant et déluré.
"Un certain garçon s'était mis dans la tête d'aller faire fortune. Il prend congé de sa mère, puis s'en va à la ville en quête de travail. Dans cette ville, il y avait un roi, il possédait cent brebis et personne ne voulait s'employer chez lui en qualité de berger. Notre garçon y va. Le Roi lui dit : "Écoute bien, voici les cent brebis". (Les trois châteaux)
Cette naïveté joviale se retrouve dans tous les contes, truffés de rois, de princesses enlevées et captives, de châteaux qui se déplacent par magie, de lions, de chiens, de chats, de fourmis, de Masques (sorcières). Tout est relaté sur un ton si pépère qu'on se prend à sourire :
"Au château, le Magicien ne comprend rien aux vertiges qui lui viennent... Au château, le Magicien se trouve dans la nécessité de s'aliter... Au château, le Magicien a une fièvre de cheval, il se ratatine sous ses couvertures." (Corps-et-pas-d'âme)
Nunuche un tantinet, pour notre plus grand plaisir. Et puis, de vrais beaux passages, presque des tableaux rouges et noirs :
"Dès qu'il était venu au monde, sa mère, le voyant si menu, pour le garder en vie et lui donner un peu de robustesse, l'avait baigné dans le vin chaud. Pour que le vin chauffe, son père avait mis dedans un fer à cheval rouge comme le feu. C'est ainsi que Masin, au travers de sa peau, avait attrapé la ruse qui est dans le vin et l'endurance qui est dans le fer. Après cette baignade, et pour lui donner quelque fraîcheur, la mère l'avait bercé dans une coquille de châtaigne encore toute verte, et donc bien amère, qui donne de la jugeote." (La barbe du Comte)
Maintenant que ce livre est achevé, je peux dire qu'il ne s'est pas agi d'une hallucination, ni d'un accident de travail, mais plutôt d'une confirmation de quelque chose que je savais déjà au départ [...] et qui m'a poussé à faire ce voyage à travers les contes de fée : les contes sont vrais." [Italo Calvino]